Le projet d'axe Nord-Sud
Vue sur des embouteillages à Paris © Apur
Les années 1960 ont été marquées par l’idée que la voiture était l’avenir de l’homme. Dans cette époque de mutation entre les activités secondaires et les activités tertiaires…
…
(on fabriquait alors encore des Citroën dans Paris), l’idéologie ambiante était
que ce « progrès » vers le tertiaire était lié de façon indéfectible
à l’automobile. Cette idéologie fut un des questionnements de l’Apur dès sa
création en 1967.
Après
le lancement des autoroutes urbaines que sont le boulevard périphérique puis
les voies sur berges rive droite et rive gauche, la réalisation d’une autoroute
reliant le nord et le sud de la capitale apparaît comme indispensable. Le
numéro 1 de la revue Paris Projet
présente à travers un article sur « La circulation à Paris en 1990 »
les différentes hypothèses d’infrastructures envisagées, et conclut à la
faisabilité de l’axe Nord-Sud, entre la porte d’Aubervilliers et la porte
d’Italie, en complément du boulevard périphérique et des voies sur berges.
Outre la destruction du canal Saint-Martin recouvert par une autoroute et la
destruction du bâti le bordant, le projet - aujourd’hui inenvisageable, même
pour les plus farouches partisans du tout automobile - inclut des échangeurs
autoroutiers à l’image de celui de Bercy en des lieux aussi emblématiques que
la place de la Bataille-de-Stalingrad ou les quais de la Seine. D’autres voies rapides
à l’intérieur de Paris sont prévues, comme la « radiale
Vercingétorix » reliant la gare Montparnasse à la porte de Vanves, dernier
projet à être abandonné en 1978. En complément de ces voies aériennes, des
autoroutes souterraines sont prévues dans les « quartiers chics »
comme les 7e, 9e et 16e arrondissements. Dans
le même document, la note de l’Apur conclut à la priorité à accorder aux
transports en commun et ouvre la porte aux questionnements à mener sur la place
prioritaire accordée à l’automobile dans l’idéologie ambiante de ces années-là.
L’étude
de 1971, Le projet d’axe Nord-Sud dans
Paris, appuyée sur le rapport de la direction de la Voirie, illustre bien
la position installée au sein de l’Atelier. Les titres de chapitre sont
éloquents, ils questionnent « l’efficacité incertaine » du tracé, ses
« difficultés d’insertion dans le tissu urbain », les « risques
de saturation » en pointe et à l’échelle de la banlieue. Mais ce qui
ressort est aussi, et surtout, la volonté de réexaminer le tracé au regard de
la cohérence des politiques d’aménagement. L’Apur a ici l’occasion de mettre en
relation les objectifs d’une politique des transports et ses incohérences,
notamment au regard des transports en commun, et ceux d’une politique
d’aménagement qui se doit d’articuler « le cadre de vie » de
70 000 riverains (coupure urbaine comme aux Champs Elysées, pollution
atmosphérique, nuisance sonore, suppression d’arbres, homogénéisation du tissu
urbain), « le maintien de la puissance industrielle de Paris » (face
à un risque de hausse des valeurs foncières et de développement de bureaux) et
« l’amélioration du parc de logement ». Les conclusions sont
désormais plus tranchées que dans le Paris-Projet
n°1, « un abandon de l’axe devrait s’imposer » et les projets doivent
s’insérer « dans un plan de circulation à long terme qui intègrerait les
possibilités de transports individuels et collectifs ». Il s’agit bien des
axes de réflexions que l’Apur poursuivra par le biais de ses enquêtes globales
transport et de ses approches de l’espace public parisien.
L’axe
Nord-Sud est définitivement abandonné le 15 décembre 1971. Tous ces projets ressemblent
aujourd’hui à un cauchemar qui aurait pu être tragique pour Paris. L’histoire a
montré qu’un autre chemin est possible à travers un nouveau mode de vie basé
sur les circulations douces et la reconversion d’infrastructures autoroutières,
comme à Paris sur les voies sur berges, à Séoul, à Rio de Janeiro, à Madrid et
peut-être demain le réseau autoroutier du cœur de l’agglomération parisienne.
A.M.B.