L’architecture urbaine est un art réglementaire. On le sait d’autant plus à Paris que les règlements successifs, de la fin du XVIIe au début du XXe siècle, sont restés fidèles à une même…
…définition du gabarit des voies. La rupture radicale
apportée par le Plan d’urbanisme directeur (PUD) de 1967, appliqué par
anticipation dès 1962, n’en est que plus perceptible. En rompant avec
l’alignement et la hauteur des façades, deux règles formelles décisives, il génère
dans les quartiers extérieurs un paysage urbain conflictuel. La mutation est
d’autant plus perceptible que, durant la même période, des secteurs entiers
font l’objet d’une rénovation ne laissant aucune trace de la morphologie
antérieure.
Jusqu’au milieu des
années 1970, la disparition du Paris populaire, celui de l’Est et de l’ancienne
« petite banlieue » annexée en 1860, rencontre assez peu d’écho -
sauf lorsqu’il s’agit de quartiers historiques. Dès les années vingt, le
lancement de la politique de résorption des « îlots insalubres » (engagée
par le
Casier sanitaire des maisons de
1894) menace le quartier du Marais de disparition, avant de toucher celui des
Halles – dont la reconstruction est programmée en 1967, dans le cadre du
percement de la gare souterraine du même nom. Les événements de mai 1968 font du
conflit entre ville ancienne et ville contemporaine l’objet d’un débat public
alimenté par la littérature universitaire américaine
1. L’opposition
populaire aux projets préfectoraux transforme les pavillons de Baltard en emblème
– au point que leur démolition, en 1971, provoque l’indignation. Néanmoins il
faut attendre l’été 1974, au lendemain de l’élection de Valéry Giscard
d’Estaing, pour que soient proposées les premières mesures de protection
concernant des monuments du XIX
e siècle. Encore se limitent-elles à
l’architecture et non aux formes urbaines.
Lancée en 1967 sous la
direction d’André Chastel,
l’étude du CNRS
sur le quartier des Halles2 reprend à son compte les travaux de l’école italienne sur
la typo-morphologie (Saverio Muratori, Aldo Rossi, Carlo Aymonino, Gianfranco
Caniggia). L’équipe de l’Apur, créée au même moment, se fait très tôt l’écho
du débat sur la ville. Sous la direction de Pierre-Yves Ligen, l’Apur lance l’étude
« Paris XIXe siècle », dont la démarche est en étroite
symbiose avec les réflexions préparatoires au POS sur les « tissus
constitués ». Il est d’abord question d’un
inventaire du bâti parisien confié à un jeune universitaire, François Loyer. Critique d’architecture à la revue
L’Œil, il a participé depuis 1967 à
l’étude Chastel sur les Halles ainsi qu’à l’Inventaire général. L’expérience
menée de décembre 1973 à avril 1974, dans le quartier de l’Europe, montre
l’inadéquation d’une procédure analytique par fiches d’immeubles (inspirée de
celle des secteurs sauvegardés). Elle ne correspond pas à la nécessité d’une
prise en compte globale, dans des délais suffisamment rapides.
Il est donc décidé de
recourir à une cartographie au 1/2.000
e, mentionnant sommairement l’âge
du bâti ainsi que la qualité de l’espace urbain (l’appréciation est principalement visuelle).
La même raison ne permet pas d’engager des dépouillements archivistiques, tels que
ceux réalisés par la suite
3. Sur
le plan chronologique, quatre périodes sont retenues: avant le XIX
e
siècle, première moitié du XIX
e siècle, seconde moitié du XIX
e/début
du XX
e siècle (haussmannien, post-haussmannien), XX
e
siècle (jusqu’au PUD de 1967). La cohérence de l’espace urbain est privilégiée
pour dégager des ensembles (un filet signale la continuité de l’alignement, les
ensembles ordonnancés sont également mentionnés). L’abondance de l’héritage du
XIX
e siècle impose cependant d’en hiérarchiser l’intérêt (selon deux
critères : élevé ou exceptionnel). Sur cette nouvelle base, l’enquête sera
terminée en quatre ans (1974-1978) – un délai rapide pour un projet aussi
vaste. Les résultats en sont immédiatement intégrés dans le plan d’occupation
des sols
4. L’étude Paris XIX
e
siècle donne lieu à un rapport publié par l’Apur en 1981, puis réécrit et édité
en librairie
5. L’écho en est notoire, au niveau international, pour la connaissance de
l’architecture parisienne des XIX
e et XX
e siècles comme
pour celle de sa morphologie urbaine.
F. L.
1 Lewis Mumford, The City in
History :
Its Origins, Its Transformations, and Its Prospects, New York, Harcourt, Brace & World,
1961 - trad. fr. : La Cité à travers
l’histoire, Paris, Le Seuil, 1964
2 Fr.
Boudon, A. Chastel, H. Couzy, Fr. Hamon, Système de l’architecture urbaine.
Le quartier des Halles à Paris, Paris, Éditions du CNRS, 2 vol., 1977
3 A. Dugast, I. Parizet,
Dictionnaire par noms d’architectes des
constructions élevées à Paris aux XIXeet XXe siècle. Première série, période 1876-1899, Paris, Service des travaux historiques de
la Ville de Paris, 5 vol., 1990-2003 ; voir aussi
Paris
1876-1939 : les permis de construire, sur le site parisenconstruction.blogspot.fr depuis 2010
4 Fr. Loyer, « Dix
ans de rénovation à Paris », Revue de l’Art, Paris, 1975, n°29, p.
57-82)
5 Paris XIXe
siècle : l’immeuble et la rue, Paris, Hazan, 1987 - édition
américaine : Paris Nineteenth Century, Architecture and Urbanism,
New-York, Abbeville, 1988